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« Boucher », de Joyce Carol Oates : le médecin qui voulait faire mal aux femmes

« Boucher [Père de la gyno-psychiatrie moderne] » (Butcher [Father of modern gyno-psychiatry]), de Joyce Carol Oates, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban, éd. Philippe Rey, 480 p., 25 €, numérique 17 €.
Lors de son dernier passage en Europe, alors qu’elle venait se faire remettre l’un des rares prix qui (avec le Nobel) manquent encore à son palmarès, Joyce Carol Oates a fait une découverte épatante : le Musée d’histoire de la médecine, à Paris. Les salles dévolues à la gynécologie, en parti­culier, l’ont enchantée. Au point que cette jeune Américaine de 86 ans s’est empressée de poster sur son compte X des photos de tous les spéculums les plus archaïques, de tous les scalpels les plus effrayants qui y sont exposés : une parfaite « illustration par l’objet » de ce qu’elle raconte dans son soixante-quatrième et nouveau roman, Boucher.
Le titre est éloquent. Il s’applique au protagoniste du livre, un docteur en médecine du nom de Silas Aloysius Weir. Nous sommes au XIXe siècle et pour créer ce personnage, Oates s’est inspirée de trois médecins ayant réellement existé, dont un certain Silas Weir Mitchell (1829-1914). Dans le roman, Weir dirige à Trenton (New Jersey) ce qu’on appelait alors un asile de femmes aliénées. Psychiatre et gynécologue, il est considéré par ses pairs comme l’inventeur de la « gyno-psychiatrie moderne », une psychiatrie exclusivement réservée aux femmes. Oates s’appuie sur des documents historiques pour en proposer ici une « biographie éclectique » construite sur les propres souvenirs du praticien, sur ceux de son fils et sur les témoignages affolants de celles qui furent ses patientes ou ses assistantes.
Bienvenue dans l’enfer de Trenton. L’écrivaine nous ouvre toutes grandes les lourdes portes de l’hôpital et celles de son bloc opératoire – un bien grand mot pour ce lieu équipé avec les moyens du bord (des cuillers font office de curette) où les infirmières sont tenues au secret. Oates y montre Silas Weir à l’œuvre et évoque en pointillé ce qui l’a conduit là. Naguère, l’homme fut un piètre carabin, aussi terrifié par la vue du sang que par le vagin des femmes, « abîme de fange et de corruption ». Il a tué un nourrisson en voulant remodeler de ses mains son crâne abîmé par le ­forceps. Humilié, complexé par son père et jaloux de son frère, lui aussi médecin, Weir a soif de revanche. Il veut laisser une trace dans l’histoire de sa discipline. Il comprend vite que le lieu clos de l’asile constitue un terrain idéal pour des expérimentations – expérimentations « guidées par la main de Dieu », il en est sûr. Qui feront parler de lui, cela n’est pas moins sûr, jusqu’à la Maison Blanche.
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